« Ce qui est le plus important, c’est le droit à un habillement décent et digne »

Auteur

Sarah Cornaz

Publié le

Un groupe de travail créé par ASA-Handicap mental avait pour but d’élaborer le Manifeste de la mode inclusive, de le valider puis de le présenter lors d’un colloque en mai. Trois de ses membres en situation de handicap évoquent la notion de mode et font part de leurs besoins en la matière.

Quelle est votre définition de la mode inclusive ?

Céline Witschard (CW) : Il s’agit d’une mode adaptée à chacun·e. Les vêtements et les accessoires doivent être facilement utilisables et prêts à l’emploi afin de favoriser l’autonomie.

Les vêtements et les accessoires doivent être facilement utilisables et prêts à l’emploi afin de favoriser l’autonomie.

Filipe Ambriel Machado (FAM) : C’est une mode pensée par et pour toutes les personnes, indépendamment du sexe assigné à la naissance, de l’identité des genres, de l’orientation sexuelle, de la race, de la couleur de peau, de la religion, de la nationalité, de l’apparence physique, de la maladie, du handicap, de la neuroatypie (ex : TDAH, autisme, syndrome Gilles de la Tourette) et des psychodivergences (ex : troubles psychiques).

Quels sont vos revendications par rapport à cette thématique ?

CW : Il est important de travailler sur les vêtements et accessoires, mais également sur les espaces de vente ainsi que le personnel qu’il faut former afin qu’il puisse accompagner et servir correctement les personnes.

Un homme parle sur une estrade

Il faut que la mode prenne au sérieux le mot inclusive car à l’heure actuelle des personnes se retrouvent face à des situations d’inaccessibilité en termes de vêtements ou de vestiaires.

Filipe Ambriel Machado, membre du groupe de travail "Manifeste de la mode inclusive"

 

FAM : Il faut que la mode prenne au sérieux le mot inclusive car à l’heure actuelle des personnes se retrouvent face à des situations d’inaccessibilité en termes de vêtements ou de vestiaires. Cela peut avoir un impact chez les personnes transgenresqui peuvent faire l’objet d’hypersexualisation. Quand je vais dans un magasin de mode, je fais souvent l’objet de mégenrage ( ndlr : fait d’appeler une personne par son sexe assigné au lieu de celui auquel elle s’identifie ) de la part du personnel ou de la clientèle.

La mode inclusive : utile ou futile ?

CW  :  S’habiller est un besoin vital et si on a envie de plaire aux autres et à soi-même, c’est notre droit ! Ce qui est le plus important, c’est le droit à un habillement décent et digne quelles que soient nos particularités physiques et nos besoins particuliers.

 

Une femme parle dans un micro tout en lisant un texte.

S’habiller est un besoin vital et si on a envie de plaire aux autres et à soi-même, c’est notre droit !

Céline Witschard, membre du groupe de travail "Manifeste de la mode inclusive"

 

Verena Kuonen (VK) : Certains vont penser que la mode et l’esthétisme sont futiles, pour celles et ceux qui n’ont pas d’autres problèmes peut-être, mais pour nous c’est un double handicap !

Que regardez-vous en premier lorsque vous vous achetez un vêtement ?

CW  : Je suis tiraillée entre ce qui me plaît et le côté pratique ! J’essaie de trouver des habits faciles d’entretien.

Je suis tiraillée entre ce qui me plaît et le côté pratique !

FAM : Je regarde d’abord l’esthétique puis la couleur et le prix. Je ne donne pas d’importance s’il s’agit d’un vêtement pour homme ou pour femme.

 

Une femme parle dans un micro.

Je demanderai au personnel de vente si cela me va. Pour la forme et les couleurs j’ai besoin des yeux des autres.

Verena Kuonen, membre du groupe de travail "Manifeste de la mode inclusive"

 

VK : Je regarde avec les mains… le tissu est très important, ensuite je vais regarder le design, la confection du vêtement, son ajustement, le décolleté, la longueur. Puis je vais essayer le vêtement pour savoir si je m’y sens bien. Enfin, je demanderai au personnel de vente si cela me va. Pour la forme et les couleurs j’ai besoin des yeux des autres.

 

Une femme avec une tirsomie 21 porte une longue robe et d'autres personnes portent sa traîne.

Défilé de mode inclusive par Gabi Fati en mai 2021, à l’occasion du Festival Out of the Box. © Isabelle Meister / Out of the Box

Vous est-il déjà arrivé de renoncer à acheter un habit qui vous plaisait ? Si oui, pour quelle(s) raison(s) ?

CW : Les sacs à main  ne sont soit pas assez grands pour y mettre mon matériel, soit peu pratiques à transporter. Je dois pouvoir avoir les mains libres car j’ai déjà la canne blanche à tenir. Je me souviens avoir acheté un jean sur lequel j’ai découvert un accroc en rentrant chez moi et je n’ai pas pu le faire changer à la caisse.

FAM  : Les raisons : la taille indisponible, le prix trop élevé ou, à l’époque, l’environnement socio-familial. Mes parents regardent avec un certain préjugé la communauté LGBTQ+, ils ne reconnaissent pas mon identité de genre. Ils ne voient pas d’un bon œil que je puisse avoir un intérêt pour un vêtement de femme.

 

Vos difficultés et obstacles et, à l’inverse, vos réussites en matière non seulement d’habillement mais aussi pour faire vos achats de vêtements en magasin ?

CW : L’emplacement des vêtements, la difficulté à lire les étiquettes comme les consignes de lavage, la signalétique, les lumières, des rayonnages qui vont parfois jusqu’au sol. Il serait très utile d’avoir des puces à fixer sur les vêtements permettant l’enregistrement de mémos vocaux.

Il serait très utile d’avoir des puces à fixer sur les vêtements permettant l’enregistrement de mémos vocaux.

FAM : Les obstacles : le personnel de vente peut ne pas être au courant de la diversité en dehors de la binarité hommes/femmes. Mon autisme m’est parfois renvoyé à la figure. Mes réussites : sortir en public avec des vêtements qui me correspondent, même s’il s’agit de vêtements de femmes.

Le personnel de vente peut ne pas être au courant de la diversité en dehors de la binarité hommes/femmes. Mon autisme m’est parfois renvoyé à la figure.

VK : J’ai beaucoup plus de réussites que de désappointements. Le handicap peut parfois créer du ressentiment mais il faut que le personnel puisse dépasser ce stade et nous conseiller sur la marchandise disponible dans leur magasin.

 

Que peut-on faire concrètement pour que la mode soit plus inclusive ? Quels sont vos besoins et vos attentes ?

CW : Que les designers prennent le sujet à bras-le-corps et créent des vêtements adaptées aux personnes en situation de handicap. Que les grandes marques donnent l’exemple. Enfin, que les produits proposés soient au même prix que les vêtements ordinaires, mais produire du spécifique en série est un vrai challenge. Et, surtout, que le personnel de vente soit formé, bienveillant et avenant.

Enfin, que les produits proposés soient au même prix que les vêtements ordinaires, mais produire du spécifique en série est un vrai challenge.

FAM  : Il faut améliorer la mentalité dans la mode et dans la société en général car il n’y a pas qu’un seul type de canon mais toute une diversité. Je suis autiste, je suis TDAH, je suis trans non binaire, j’ai la double nationalité helvético-portugaise, je suis surtout une personne. Mon conseil aux designers : écoutez les personnes concernées, leurs expériences sont légitimes. En collaborant, le monde devient plus inclusif.

Je suis autiste, je suis TDAH, je suis trans non binaire, j’ai la double nationalité helvético-portugaise, je suis surtout une personne.

VK : Il est primordial de sensibiliser, persuader et informer  les designers et  les grands magasins. Il faut frapper aux portes et montrer que les enseignes ont tout à y gagner. Cela prendra du temps mais il faut y aller petit à petit, nous allons y arriver. J’espère que ce manifeste amènera à une prise de conscience.. C’est très important quand on a un handicap d’être bien looké sinon on fait « pauvre handicapé » et cela ne favorise pas l’approche de l’autre et l’intégration.

A propos des personnes interviewées

Céline Witschard (CW) est entrepreneuse, fondatrice et directrice de Vision Positive – entreprise de services en accessibilité universelle, déficiente visuelle

Filipe Ambriel Machado (FAM) est membre du comité d’ASA-Handicap mental, personne autodéterminante, personne assistante polyvalente à Ex&Co, personne médiatrice culturelle et personne formatrice d’adultes, personne militante queer

Verena Kuonen (VK) est responsable associative, co-présidente d’Inclusion Handicap ; atteinte d’une dégénérescence maculaire juvénile, elle a perdu entièrement la vue à 50 ans. Passionnée de politique, active au Conseil communal de Pully, maman de deux grands enfants et grand-maman de quatre petites-filles, elle s’investit pour toutes les causes qui lui semblent justes.

 

L’interview dans sa version intégrale est parue dans le numéro de septembre 09/2021 de Pages Romandes, commandable  par email à sarah.cornaz@bluewin.ch

 

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