« Pour une Suisse qui agit de façon inclusive »

Auteur

Susanne Schanda

Publié le

La population suisse élit son Parlement le 20 octobre (ndlr : 2019). Islam Alijaj (PS) et Christian Lohr (PDC) sont candidats au Conseil national. Qui représentent-ils et quels sont leurs objectifs ? Nous avons invité les deux hommes politiques à un entretien.

Pour quoi vous battez-vous en tant qu’hommes politiques ?

Islam Alijaj : Je me bats pour l’inclusion au sens le plus large, pour différents modes de vie, pour la diversité dans la société. Nous ne vivons pas seulement en situation de handicap, nous avons beaucoup d’autres caractéristiques. Par exemple, je suis aussi une personne issue de la migration. Chacun et chacune devrait pouvoir déployer son potentiel. C’est le coeur de mon engagement politique.

Christian Lohr : L’égalité entre les êtres humains est un thème central pour moi. J’essaye de faire évoluer notre société de manière à ce que l’individualité y ait une place importante, certes, mais où la communauté et la solidarité comptent aussi. L’autodétermination est une chose très importante, mais elle ne doit pas restreindre l’autodétermination des autres.

Islam Alijaj et Christian Lohr discutent, assis à une table dans un café.

Islam Alijaj (à gauche) et Christian Lohr ont beaucoup à se dire – et plus de points communs que ne le laisseraient penser leurs appartenances politiques. Photo : Danielle Liniger

Faites-vous de la politique surtout comme représentant des personnes en situation de handicap ?

C.L. : Au début, je voulais délibérément ne pas me laisser réduire à la politique en matière de handicap. J’ai commencé mon mandat avec l’ambition de mener une politique sociale large. Mais en réalité, on a vite attendu de moi – à juste titre – que je m’engage particulièrement fortement dans le domaine du handicap. Je le fais encore aujourd’hui par conviction, mais je ne fais pas exclusivement cela. Je suis actif aussi dans la politique de la santé et la promotion du sport. J’ai travaillé comme journaliste, j’étais toujours curieux quant à toutes sortes de thèmes et de personnes. A partir de là, j’ai souhaité ne plus seulement écrire sur ces sujets, mais y participer.

Quelle place a le handicap dans votre profil politique ?

I.A. : La politique d’inclusion est mon thème central, qui influence tous les autres : la politique du logement, des transports, de la formation. Si nous voulons établir la politique d’inclusion comme une question transversale, nous devons faire en sorte que davantage de politiciens en situation de handicap s’engagent. Nous pourrions même alors former un mouvement politique.

 

 

Christian Lohr, conseiller national PDC/TG depuis 2019.

Sans relâche, j’ai insisté pour qu’on parle d’êtres humains, et qu’on se représente ce que toutes nos décisions impliquent pour les personnes. Cela a été entendu et accepté.

Christian Lohr, candidat élu au Conseil National en 2019 (PDC)

Votre handicap vous donne-t-il plus de crédibilité ?

C.L : J’ai parfois l’impression que je suis aussi un peu la conscience éthique du PDC dans les questions touchant le thème du handicap. Peu après mon élection au Conseil national en 2011, la révision de l’AI 6a est arrivée sur le tapis. J’ai cru d’abord assister à un mauvais film : on ne parlait que de cas, de coûts, de chiffres, jamais d’êtres humains. Sans relâche, j’ai insisté pour qu’on parle d’êtres humains, et qu’on se représente ce que toutes nos décisions impliquent pour les personnes. Cela a été entendu et accepté. Aujourd’hui, on parle différemment de l’AI et l’AVS au Parlement.

Quels sont vos points communs et vos différences ?

I.A. : Nous nous entendons très bien sur le plan personnel. Nos deux partis ont une base large, c’est pourquoi nos positions sont relativement proches. Mais même si nous nous entendons bien en matière de politique d’inclusion, il est aussi important que les personnes en situation de handicap soient représentées dans un large spectre politique.

C.L. : Nous avons assurément plus de points communs que de différences. Nous nous engageons tous les deux pour une Suisse qui pense et agit de façon inclusive. Nous ne nous démarquons que par des nuances. Pour moi, aussi bien la responsabilité personnelle que la solidarité sont importantes.

Monsieur Lohr, vous avez dit dans le débat sur l’AI : « Nous pouvons faire plus pour les personnes avec un handicap, mais pas par l’argent. » Monsieur Alijaj, vous avez dit qu’il faut modifier le flux financier pour qu’un changement ait lieu dans le domaine du handicap.

C.L. : On ne peut pas tout réduire à des considérations financières. Il ne suffit pas de donner de l’argent seulement dans un but social. Les personnes concernées devraient obtenir la possibilité de développer leur initiative personnelle et de gagner de l’argent de façon autonome. Nous devons changer les conditions-cadres de la société.

I.A. : Pour changer la société, il faut modifier le flux financier dans le milieu du handicap. L’argent arrive d’en haut par la Confédération et n’arrive qu’au compte-gouttes jusqu’à nous, les personnes concernées. Il faut plus responsabiliser les associations de soutien aux personnes en situation de handicap. Elles devraient embaucher des personnes avec handicap à des postes décisionnels et rendre possible l’initiative individuelle. Pas besoin d’aumône. Nous sommes des individus qui travaillent, gagnent de l’argent et payent des impôts.

Dans la vie politique au quotidien, où rencontrez-vous des obstacles liés à votre handicap ?

I.A. : Il y a des lacunes de construction, des salles non accessibles, l’absence de pailles pour boire, des choses de ce genre. Mais les plus grandes barrières sont dans les têtes de quelques collègues de parti.

Islam Alijaj, candidat au Conseil National en 2019

L’une des mesures possibles pour une meilleure accessibilité est l’assistance politique. Grâce à elle, on peut réduire ou même éliminer beaucoup d’obstacles.

Islam Alijaj, , candidat au Conseil National en 2019 (PS)

Qu’est-ce qui devrait changer pour faciliter l’accès des personnes en situation de handicap à la politique ?

I.A. : La politique est un terrain difficile, on y joue des coudes. Avec l’Université de Zurich et l’Université des sciences appliquées de Zurich (ZHAW), j’ai lancé un projet destiné à analyser les obstacles pour les personnes en situation de handicap en politique, et à proposer des mesures pour une meilleure accessibilité. L’une des mesures possibles est l’assistance politique. J’ai par exemple une assistante qui prononce mes discours. Grâce à l’assistance politique, on peut réduire ou même éliminer beaucoup d’obstacles.

insieme Suisse a réalisé avec easyvote une brochure pour aider les personnes avec un handicap à participer aux élections. Que pensez-vous de cette démarche ?

C.L. : Un problème fondamental est que la politique n’est pas simple. L’intention est fantastique – je la soutiens, naturellement ! Mais beaucoup de processus sont complexes, avec de grandes implications. Je trouve bien qu’il y ait des groupes d’autoreprésentants, qui traitent de leurs préoccupations. J’encourage les personnes à aborder les politiciens, à parler avec eux. La compétence est une condition importante pour faire progresser la participation politique. Cela nécessite de renforcer la confiance en soi et de s’intéresser aux sujets qui nous concernent tous, comme le climat et l’environnement.

Connaissez-vous des politiciens actifs qui ont un handicap mental ?

I.A. : Christoph Linggi de « Mensch zuerst » (« L’humain d’abord »), une association d’autoreprésentants. Il fait partie du Parti vert’libéral de la Ville de Zurich. Il travaille en tandem avec Peter Fischer, qui a un handicap physique, ils se soutiennent mutuellement.

Monsieur Lohr, en tant que vieux renard de la politique, que pouvez-vous conseiller à Monsieur Alijaj ?

C.L. : Premièrement : tu dois être persévérant et patient dans la suite de ta carrière politique. Deuxièmement : tu dois chercher des voix aussi hors du PS. Car au sein même du PS, il y a des gens qui sont charmants et gentils avec toi mais qui veulent eux-mêmes être élus.

Comment évaluez-vous vos chances d’être élu ou réélu ?

I.A. : Le PS zurichois a 9 sièges au National et 35 candidats, et je suis 23e. Tous les élus en place se représentent. Je devrais monter de 14 rangs pour être élu. Les chances sont très minces. Le climat politique global est favorable pour des candidats tels que moi, qui ne sont pas des politiciens classiques. Mais il faudrait un miracle pour que je sois élu. Je travaille avec mon équipe pour que ça se produise.
C.L. : Il y a quatre ans, j’ai été confirmé dans mon mandat par un excellent résultat. Je crois pouvoir poursuivre mon travail à Berne.

Christian Lohr, photographié devant le Palais fédéral
Christian Lohr, candidat PDC au Conseil national. Photo : Danielle Liniger

Christian Lohr, candidat PDC

Né en 1962 à Kreuzlingen (TG), Christian Lohr travaille comme journaliste et professeur dans plusieurs hautes écoles. En raison d’un handicap dû à la thalidomide, il est né sans bras et avec des jambes raccourcies, et il utilise son pied droit comme d’autres utilisent leur main droite. Il est au comité d’insieme Thurgovie, il fait partie du Bureau de Pro Infirmis, et il a été président de l’association de sport-handicap PluSport. Il est actif en politique depuis 20 ans : à l’exécutif de Kreuzlingen de 1999 à 2012, au Grand Conseil thurgovien de 2000 à 2014, et au Conseil national pour le PDC thurgovien depuis 2011.

Islam Alijaj, candidat au Conseil National en 2019
Islam Alijaj, candidat PS au Conseil national. Photo : Danielle Liniger

Islam Alijaj, candidat PS

Né en 1986 au Kosovo, Islam Alijaj vit en Suisse depuis 1987. Il a des troubles de la parole et des troubles moteurs à la suite d’une paralysie cérébrale, et il a fréquenté plusieurs écoles spécialisées lorsqu’il était enfant. Après une formation commerciale, il a étudié en autodidacte le système social de la Suisse. Il a collaboré au rapport alternatif sur la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (CRDPH). Il est membre du comité de la section Zürich 9 du PS zurichois. C’est la première fois qu’il est candidat au Conseil national.

 

Cet article est paru dans le magazine insieme de septembre 2019.