Un espace sensoriel propice au bien-être

Auteur

Martine Salomon

Publié le

L’approche snoezelen, venue des Pays-Bas, permet d’accompagner les personnes dans une atmosphère alliant détente et stimulation. Reportage lors d’une séance avec deux bénéficiaires de la Fondation Perce-Neige aux Hauts-Geneveys (NE).

Une douce musique emplit la pièce. Des lampes rondes aux couleurs évolutives distillent une ambiance magique. Sur un rideau blanc, des photos de paysages défilent grâce à un projecteur allumé par l’éducatrice Béatrice Dubied. « Aujourd’hui, je vous emmène voir les nuages. On voit le ciel… » – « bleu ! », complète du tac au tac Mireille Holzer, 51 ans, étendue sur un fauteuil à bascule. Hélène Delhayé, 74 ans, est assise sur un canapé. L’éducatrice poursuit : « Et on voit des nuages, comme de la ouate, on aurait envie de dormir dessus ». Mireille Holzer rigole. Béatrice Dubied propose que chacune fabrique son propre nuage : un sachet en filet rempli d’ouate et de ballons. Mireille Holzer, toute de violet vêtue, choisit un ballon assorti. Elle caresse sa joue avec son nuage. Hélène Delhayé jette son dévolu sur un jaune. Elle secoue son nuage pour entendre le froissement des matières. Elle assied sur lui ses nounours, Damien et Guy.

Mireille Holzer regarde le plafond, étendue sur un fauteuil à bascule. En fond, on aperçoit Hélène Delhayé, assise sur un canapé.

Mireille Holzer et Hélène Delhayé apprécient le snoezelen, une pratique dont le nom vient du néerlandais : « snuffelen », ressentir, et « doezelen », se détendre. Photo : Cyril Zingaro

Mireille Holzer est assise dans un fauteuil à bascule. Elle tient un ballon violet dans la main droite et un sachet avec de la ouate dans la main gauche.
Ballons, ouate et autres matières utilisées avec créativité éveillent les sens. Photo: Cyril Zingaro

Nuages à regarder, écouter, goûter

Le temps s’écoule lentement. Les deux bénéficiaires admirent les images, disent leur préférence pour les couchers de soleils et s’extasient devant la beauté des sapins. On découvre des villages, des montagnes, des forêts et des mers de nuages onctueux. « Ils ressemblent parfois à de la crème fouettée », commente l’éducatrice. Elle saisit une bombe et verse dans nos mains une noisette d’une substance blanche et aérienne. « Frotte-la ! », conseille-t-elle. « On dirait de la mousse », remarque Mireille Holzer. « Oui, c’est comme dans les nuages. » Et l’on s’amuse d’entendre le produit crépiter à mesure qu’il fond sur la paume.
Puis Béatrice Dubied raconte une histoire, parsemée de nuages elle aussi. Ce conte, simple et riche à la fois, présente le nuage comme un visage qui nous sourit, une présence rassurante. Mireille Holzer réagit vivement, éclate de rire plusieurs fois. Hélène Delhayé garde une mine concentrée, ses yeux dirigés vers le sol. Le récit se termine et les images s’éteignent. A présent s’enclenche une colonne à bulles : celles-ci foisonnent et montent dans une lumière qui change de couleur régulièrement. Les deux dames disposent d’un temps silencieux pour voyager dans leurs sensations et dans le récit qu’elles viennent d’entendre. S’ensuit une discussion au sujet des personnages de l’histoire.

Hélène Delhayé frappe des tambourins, ses peluches posées sur les genoux
Très doux ou plus stimulant: le soezelen s’adapte aux besoins de chacun. Photo : Cyril Zingaro

Meringues et rock’n roll

« Maintenant, je vous montre un nuage qu’on peut manger ! » L’éducatrice distribue à chacune une meringue. Dans cette atmosphère relaxante, les oreilles deviennent sensibles même au crissement subtil de la meringue écrasée par la cuillère. Béatrice Dubied demande à Hélène Delhayé si elle en a donné à ses peluches. « Non, ils n’aiment pas. »
La séance arrive bientôt à son terme. « C’est trop bien ici, je me relaxe », dit Hélène Delhayé, qui vient ici une fois par semaine. Parfois, elle aime avoir la surprise du contenu de la séance, et d’autres fois elle aime choisir. « Surtout la musique. » Elle fredonne : « Ta ta taa, ta ta tadaaa, ta ta taa, taaadaaa !… » Une chanson des Deep Purple ! Elle en est fan. Son pied droit tape le rythme. « Vous voulez un petit moment de rock ? », lance Béatrice Dubied. Approbation générale. L’éducatrice et Mireille Holzer secouent des maracas, tandis qu’Hélène Delhayé frappe des tambourins à l’aide d’une baguette et d’un balais métallique. Elle se donne à fond, et avec une justesse épatante. Sur son visage se dessine un sourire très net. Mireille Holzer l’encourage : « Vas-y Hélène, vas-yyyy ! » Le CD de « Smoke on the water » démarre et les dames continuent à activer leurs instruments. On se croirait en plein concert. Après avoir été relaxées par un bain de sensations agréables, nous voilà désormais dynamisées.

Salle sensorielle en institution
Cette session était très panachée. D’habitude, on utilise moins de stimuli à la fois, précise Béatrice Dubied. Le snoezelen a été développé dans les années 1970 aux Pays-Bas. Ce terme réunit « snuffelen », qui signifie ressentir, et « doezelen », se détendre. Le bénéficiaire trouve dans la salle un environnement paisible et sécurisé. Pour entrer en contact avec lui, son accompagnant y met en œuvre des stimuli ciblés qui lui donnent la possibilité de communiquer, émettre des souhaits et augmenter l’estime de soi.

Une séance dure une heure en moyenne. Béatrice Dubied propose chaque mois un thème différent en séances collectives. « La Thaïlande », « Les Roses », « La Corse », « Le Lac », « L’Arbre » ou encore « Brocante ». Elle propose aussi des séances sans thème, au déroulement simple mais ritualisé : musique, lumières, massage des pieds et une histoire. Certains bénéficiaires préfèrent par ailleurs venir en séance individuelle.

Béatrice Dubied s’est formée au snoezelen et initie à son tour ses collègues

« Quand on accompagne une personne en salle, on doit la connaître, ainsi que ses pathologies. Ne pas laisser des papiers qu’elle risquerait de déchirer et avaler. Ou éviter de projeter un ciel d’étoiles qui bougent au plafond si elle risque d’en être stressée. »

Béatrice Dubied, éducatrice et spécialiste snoezelen

On exploite les trois types de stimulation basale : somatique (peau, odeurs, goûts), vestibulaire (mouvements du corps, des yeux) et vibratoire (voix, vibrations, musique). Le bénéficiaire ira vers sa perception préférentielle. A l’extérieur, une personne épileptique expérimente habituellement peu ses propres mouvements sous peine de déclencher des crises. Ici, elle optera volontiers pour la stimulation vestibulaire, qu’elle peut vivre en sécurité dans le fauteuil à bascule par exemple. Et pour une personne en situation de polyhandicap, en fauteuil roulant toute la journée, une salle snoezelen permet une expérience nouvelle : son corps couché sur un lit à eau vibrant et chauffant. « Quand on accompagne une personne en salle, on doit la connaître, ainsi que ses pathologies », souligne l’éducatrice. Ne pas laisser des papiers qu’elle risquerait de déchirer et avaler. Ou éviter de projeter un ciel d’étoiles qui bougent au plafond si elle risque d’en être stressée.

Un concept en expansion

Le snoezelen a été introduit aux Perce-Neige dès les années 1990, sur le site de Lignières à l’initiative d’une employée. Quelques années plus tard, Béatrice Dubied et trois autres éducateurs ont obtenu l’accord de la direction pour relancer cette pratique. La salle des Hauts-Geneveys, en fonction depuis 2004, profite à toute la Fondation : les aînés et les plus jeunes, les travailleurs des ateliers – et même les employés, en prévention de surmenage. Le concept a fleuri sur plusieurs autres sites de l’institution. Béatrice Dubied et l’un de ses collègues ont suivi une formation d’une semaine à Troyes, en France. Pour approfondir, elle a suivi une formation en modules sur quatre ans, auprès de l’International Snoezelen Association (ISNA) qui a un centre à Grandson (VD). Deux autres employés ont suivi ce cursus. Béatrice Dubied dispense une initiation à tous les membres du personnel intéressés. Chaque semaine, au moins une quinzaine d’éducateurs et de maîtres socioprofessionnels y accompagnent des bénéficiaires.
Si une institution veut mettre en oeuvre le snoezelen, elle se procurera dans l’idéal un kit de base comprenant des fibres optiques, une colonne à bulles, un projecteur à disques d’images (mouvements de couleurs, animaux ou paysages) et un système de son, préconise Béatrice Dubied. Cela coûte environ 10’000 francs. C’est encore mieux si elle peut acquérir un lit à eau, qui intègre les trois types de stimulations basales (quelque 5000 francs de plus). Il existe plusieurs fournisseurs spécialisés, parmi lesquels Thieme, Riedel ou Pétrarque.

Deux colonnes à bulles sont illuminées dans une pièce sombre. Une lampe ronde enveloppée dans un nid de plume repose à leur pied
Béatrice Dubied donne des pistes pour aménager un espace sensoriel à la maison

Le snoezelen chez vous à moindres frais

Les familles peuvent aménager un espace sensoriel à la maison. Pas besoin d’investir dans du matériel pro. Certains appareils sont disponibles dans les magasins d’ameublement. L’éducatrice Béatrice Dubied donne quelques idées. Pour une centaine de francs, on peut se procurer un boîtier de fibres optiques d’un mètre de long : leur lumière féérique montre qu’on se trouve dans un coin snoezelen. On a envie de s’y envelopper. Une petite fontaine, un diffuseur d’arômes, une boule à facettes ou une veilleuse projetant des étoiles sont intéressants. Les miroirs apportent des volumes à la pièce. On peut fabriquer du petit matériel en détournant des objets. Une caisse remplie de boutons colorés produit un joli cliquetis quand on y plonge la main. Récupérez des masseurs vibrants, des instruments de musique, des balles. Remplissez des sachets en tissu de sagex, noyaux de cerises, riz ou épices. Confectionnez une couverture sensorielle en y cousant des objets. Jouez aux ombres chinoises devant un projecteur ou une lampe de poche ! On peut mettre des lumières dans des boîtes transparentes et y poser des pochoirs. Placez devant un ventilateur des matières (café, orange, chocolat…) Ou positionnez des raphias dans sa trajectoire pour imiter le son du vent dans les hautes herbes. Utilisez du liquide savon pour créer des bulles. Mieux vaut choisir un endroit calme : un coin spécial dans la chambre qui n’est ni le lit, ni le bureau, ni le coin jeu. L’essentiel : d’offrir quelques stimuli variés, que la personne pourra choisir.

 

Cet article est paru dans le magazine insieme de décembre 2020.