L’esprit d’équipe à son comble

Auteur

Martine Salomon

Publié le

Le rafroball, sport original inventé en Suisse, offre plaisir et adrénaline à tout un chacun. Il réunit des joueurs avec et sans handicap et s’adapte à tous les niveaux de capacités. Reportage lors d’une compétition nationale à Marly (FR).

Une jeune femme blonde à queue de cheval entre sur le terrain en chaise roulante. Sur ses genoux trône une vache en peluche noir et blanc, mascotte de son équipe. Le moment est critique pour les Fribourgeois de Rafro Vaches. Alors qu’ils menaient 2 – 0, ils ont encaissé un but avant la mi-temps, puis un deuxième après la reprise. Il faut réagir. Soudain, l’équipe reprend l’avantage grâce à un petit garçon à lunettes qui marque un but spectaculaire. Explosion de joie parmi les joueurs et le public. Le tout jeune sportif fait un galop d’honneur à travers le terrain.

Les membres de l’équipe des Rafro Vaches, se tiennent en cercle et tendent leurs mains vers le centre, se préparant à pousser leur cri d’équipe.

Dans une partie de rafroball, chacun a un rôle à jouer, adapté en fonction de ses possibilités. Photo : Cyril Zingaro

La scène se déroule lors de la première journée du Championnat suisse de rafroball 2020, samedi 11 janvier. Avec ou sans handicap, tout le monde peut participer à ce sport. Une bande de copains valaisans l’a inventé il y a une grosse vingtaine d’années en combinant des éléments du handball, du basket et du foot. Son nom est formé des premières syllabes de leurs patronymes : Thierry Rapillaz, Lionel et Jonas Frossard et Prince Ballestraz. Son règlement permet une grande adaptabilité en fonction des capacités de chacun. Un joueur avec handicap peut fonctionner en duo avec un « moteur » : un partenaire qui l’aide à se déplacer, à récupérer la balle, ou à s’orienter sur le terrain. Un joueur sans handicap peut également participer en solo, mais seulement en s’asseyant dans une chaise roulante. Quant aux buts, leurs dimensions sont toujours modulées selon la taille et les caractéristiques du gardien. Les équipes mélangent aussi hommes et femmes, enfants et adultes. C’est sportivement très intense, mais très fair-play.

Joie, suspense et persévérance

L’implication et le plaisir imprègnent l’atmosphère. Comme chez la Fribourgeoise Amélie Broch, 14 ans, qui rayonne de joie dans sa chaise roulante : que ses passes aboutissent ou non, elle arbore à tout instant un sourire jusqu’aux oreilles. Le gardien adverse a lui aussi une expressivité remarquable. Au-delà de son trouble du langage, son regard et ses gestes disent tout : que ce soit son poing vainqueur après avoir contré un tir ou son haussement d’épaules déconfit adressé au public après avoir pris un but. Il y a des moments hors du temps, au suspense tout particulier : ainsi quand un joueur avec polyhandicap s’apprête à tenter une passe, et que tout le monde semble en apesanteur, dans l’attente de voir s’il réussira. Il y a mille victoires à l’intérieur d’un seul match. Chacun a un rôle à jouer, que ce soit en levant les bras pour gêner la visée d’un tireur, ou simplement en se plaçant judicieusement. Par exemple, l’une des personnes en chaise roulante ne parvient guère à lancer la balle en l’air, mais elle la fait laisser glisser au sol dans la direction voulue ; et elle se distingue par son sang-froid et son excellente vision du jeu.

Amélie Broch se prépare à lancer la balle, assise dans un fauteuil roulant.

« Mon équipe, je l’adore, c’est ma deuxième famille. On s’entraîne tous les jeudis de 17h30 à 19h. »

Amélie Broch, joueuse de rafroball

Les verts montent en attaque. Les blancs de Rafro Vaches agitent leurs mains en l’air défensivement. Un joueur en chaise roulante s’apprête à passer la balle à un coéquipier également en chaise. Il y a beaucoup de monde autour d’eux. Leurs « moteurs » respectifs se rapprochent l’un de l’autre, formant un barrage qui protège la passe réalisée par leurs camarades. Mais la balle tombe à terre. Le moteur du destinataire se penche pour la ramasser. On craint qu’il se fasse rouler sur la main ou sur le pied. Mais il se redresse promptement et dépose la balle dans la main de son partenaire. Tout au long du match, on voit des moteurs ramasser les balles au sol maintes et maintes fois, inlassablement. La persévérance et l’esprit d’équipe à leur paroxysme ! Mais il arrive aussi que le partenaire avec handicap gère très bien les passes seul – son moteur se contente alors de l’aider pour les déplacements. On admire la vitesse et la précision avec lesquelles certains sportifs pilotent les chaises roulantes de leurs collègues.

Amélie Broch se prépare à lancer la balle, assise dans un fauteuil roulant.
La Fribourgeoise Amélie Broch, 14 ans, a enfin trouvé un sport qui lui plaît. Photo: Cyril Zingaro.

« J’adore la compétition ! »

Temps mort demandé par les adversaires de Rafro Vaches peu avant la fin de la partie. Le coach des Fribourgeois, très pro, drille ses joueurs qui mènent 4 – 3 : « C’est la dernière ligne droite. Calmez le jeu. Tirez seulement si la situation est parfaite. On ne perd pas le ballon. Pas de passes longues. » Ses conseils ont été entendus. Au coup de sifflet final, les blancs sont victorieux. Après le débriefing, c’est l’heure d’aller manger avant le match suivant. On saisit au vol deux membres de Rafro Vaches pour recueillir leurs impressions. La radieuse Amélie Broch ne se fait pas prier. « Demain, ça fera une année que je fais du rafroball. J’ai longtemps cherché un sport qui me plaise. Maintenant je l’ai trouvé et, du coup, j’en parle à tout le monde ! », rigole-t-elle. « Mon équipe, je l’adore, c’est ma deuxième famille. On s’entraîne tous les jeudis de 17h30 à 19h. » L’adolescente joue parfois en attaque ou parfois en « espaceur », dont le rôle est de créer des couloirs pour les tireurs. « La compétition, j’adore ça ! », jubile-t-elle. Son camarade Aliosha Lyebyedyev, 25 ans, est gardien. Il précise qu’il a un handicap peu visible : IMC (infirmité motrice cérébrale). Ses muscles peuvent parfois lâcher. « Pendant le match, vous avez vu ? Des fois, je devais baisser les bras. » Il doit donc doser ses efforts. « Depuis gamin, on me disait ‹Fais un sport, fais un sport !›. Mais le foot, après dix minutes je suis mort. C’est une de mes anciennes physios qui m’a parlé du rafroball. Je me suis dit : ‹Je fais quelques entraînements pour pas qu’elle me casse les pieds.› Après cinq séances, j’ai décidé de rester. Dix ans plus tard, j’y suis toujours », sourit-il. « Au début, je n’aurais jamais pensé aller si loin. Ce sport donne de la confiance en soi. »

Un joueur de rafroball, le ballon en main, avance entre deux joueurs adverses qui s’efforcent de le contrer. L’un est debout et l’autre assis dans un fauteuil roulant.
Puissance et précision impressionnantes dans la catégorie Sport. Photo: Cyril Zingaro.

La Suisse alémanique s’y met

Treize équipes sont en lice dont sept dans cette catégorie Fun, et six dans la catégorie Sport qui se joue de l’autre côté de la salle. Là, ce sont surtout des adultes. Le fair-play est aussi présent, mais l’atmosphère est nettement plus compétitive et le niveau de jeu est élevé. La concentration est intense, les joueurs se placent stratégiquement, leurs tirs sont puissants et précis. Les Soleurois, en rouge et blanc, sont arrivés récemment dans le championnat et sont très vite montés dans la catégorie supérieure. C’est l’une des deux seules équipes de Suisse alémanique pour le moment, avec celle de Berne. Cette dernière a été créée il y a quelques années par des anciens de Rafro Vaches, équipe bilingue qui a ainsi joué un rôle de pont. Les fans du rafroball espèrent voir ce sport se développer aussi outre-Sarine.

 

Cet article est paru dans le magazine insieme de mars 2020.