Comment le regard sur le handicap a-t-il évolué à la télévision suisse au cours des 70 dernières années ? Une équipe de chercheurs·euses basée à l’Université de Lausanne est en train de relire l’histoire du handicap et la place accordée au personnes concernées à travers les archives de la RTS, de 1950 à 2018. Il y a bien eu des progrès, mais le regard parfois discriminatoire sur le handicap persiste.
Un exemple parlant, c’est lorsque la RTS présente une nouvelle institution de prise en charge. Depuis 1950, le montage des images est toujours le même : les personnes en situation de handicap sont filmées, puis les membres de la direction et du personnel sont interviewés. Les résident·e·s sont uniquement figures d’illustration de l’institution et de son fonctionnement ; la parole ne leur est quasiment jamais accordée. Généralement, si une personne concernée est le sujet d’une émission, elle est bien souvent mise en scène comme une figure d’intégration sociale et sera recontactée régulièrement tout au long de sa vie. Ces portraits de réussite exemplaire, souvent dictée par leur détermination hors du commun, nourrissent le stigmate du super héros qui souligne la différence des personnes concernées et la vision dramatique que la société porte sur le handicap. Justine Scheidegger, doctorante engagée pour le projet, a pu constater que ceci arrive presque uniquement lorsque c’est un parcours ascendant. « C’est en fait une manière d’éviter de porter un regard critique sur la société », reproche-t-elle.
La croyance qui veut que la personne en situation de handicap soit obligatoirement malheureuse persiste malgré tout.
Des discriminations malgré l’évolution
Une évolution qu’elle a cependant observée, c’est l’appellation des personnes en situation de handicap et le vocabulaire choisi : « J’ai pu noter à plusieurs reprises au fil des années, que c’est d’abord le personnel médical interrogé dans les émissions qui initie de nouveaux termes pour désigner les personnes en situation de handicap. Trois, quatre ans après, ces mêmes termes sont utilisés par les journalistes ». Tout n’est pourtant pas encore gagné : « On entend encore aujourd’hui des journalistes utiliser le terme ʽles malheureuxʼ. Donc la croyance qui veut que la personne en situation de handicap soit obligatoirement malheureuse persiste malgré tout », relève Justine Scheidegger. Les inégalités se poursuivent, notamment dans l’handisport : « Là, on va interroger les médecins. Dans une compétition de personnes valides, on ne va pas aller interroger un médecin, on demande quel est le score ! Ça ajoute une dimension médicale non pertinente pour le sujet », s’indigne Justine Scheidegger. Donc il y a toujours cette construction de la différence qui renvoie les personnes concernées à un monde à part. » Il existe également une forme de violence symbolique. Dans un reportage lié à l’inauguration du réseau ferroviaire à Zürich, un groupe de personnes en situation de handicap a été filmé en pleine protestation contre les barrières architecturales de ce nouvel aménagement qui les empêchent de jouir librement de leur mobilité. Le journaliste l’a brièvement abordé, puis a continué de chanter les louanges de cette nouvelle infrastructure, sans prendre en considération la discrimination subie les manifestant·e·s. Malheureusement le paysage médiatique Suisse n’est pas du tout représentatif de la société ; alors que 15 à 20 % de la population est concernée par un handicap, seul 2 % des diffusions télévisuelles lui sont accordées.
Un contraste marqué entre les générations
Parallèlement à ce travail d’analyse, des ateliers inclusifs et participatifs sont organisés, dans le but de créer un espace d’expression et de débats. Chaque atelier reçoit un groupe de personnes issus de différents milieux – associations, journalistes, personnes en situation de handicap – pour visionner une sélection d’archives, puis échanger sur le contenu. Alexandra Tilman, docteure en sociologie et chercheuse FNS, est en charge des ateliers : « On peut parfois observer un contraste marqué entre les personnes ayant grandi en institution dans les années 60 et les jeunes d’aujourd’hui, qui bénéficient du système hors institution, dans la famille, à l’école, auprès des associations. Les capacités cognitives et la manière de s’exprimer ne sont pas les mêmes », partage-elle.
Les discussions sont filmées dans le but d’en faire un documentaire et une plateforme participative sera mise en place. Ces supports serviront par la suite de médiation auprès des écoles et des associations pour sensibiliser et discuter de la représentation du handicap afin d’évoluer sur le chemin d’une société inclusive.
Caroline Goretta, membre d’ASA-Handicap mental, est choquée par les paroles de la fameuse chanson des scouts, alors que plusieurs enfants sont en fauteuils roulants : « la meilleure façon de marcher, c’est de mettre un pied devant l’autre ». Une violence symbolique se dégage de ces images de 1970.
Pierre Weber, membre d’ASA-Handicap mental, connaît bien ce type d’atelier, comme celui de l’institution Espérance à l’écran en 1978 : « J’ai lutté pour sortir de l’institution. On nous disait tout le temps qu’ici, on est en sécurité, qu’à l’extérieur ça sera dur. »