Se familiariser aux soins gynécologiques

Auteur

Lise Tran

Publié le

Un travail de master en Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève s’est penché sur l’accès aux soins gynécologiques de femmes ayant un handicap mental. Précisions avec son autrice, Luana Veraguth.

Pour quelles raisons avoir mené cette recherche ?

J’ai une maladie chronique gynécologique diagnostiquée tardivement. A 24 ans, j’ai changé de médecins et décidé d’être actrice de ma propre santé. Lors de mon parcours universitaire, j’ai développé un intérêt spécifique pour les personnes ayant un trouble du développement intellectuel. Je me suis demandé ce qu’il en était lorsque ces dernières rencontraient des difficultés gynécologiques. Et qu’elles ne pouvaient pas forcément agir sur leur santé.

Deux femmes ont participé à votre recherche. Quelles étaient leurs expériences gynécologiques ?

Alice, trentenaire, avait déjà consulté des gynécologues. Son vécu était plutôt négatif. Diana, quadragénaire, était en attente d’une opération des polypes. Toutes deux avaient un âge auquel il est important d’effectuer certains dépistages. Elles possédaient de bonnes compétences communicationnelles.

Luana Veraguth

Certain·e·s gynécologues ne comprennent pas pourquoi ces femmes devraient consulter si elles ne sont pas actives sexuellement. Cette attitude révèle une méconnaissance et une infantilisation de celles-ci, réduisant leur autonomie et leur capacité à s’exprimer.

Luana Veraguth, autrice du travail de Master sur l'accès aux soins gynécologiques des femmes vivant avec une déficience intellectuelle

Avaient-elles des besoins spécifiques ?

Pour Alice, il était difficile d’aborder ce sujet. Notamment en raison d’une pose de stérilet douloureuse. Son vécu était dominé par la peur et l’anxiété. Apprendre à mettre en place des stratégies de relaxation, lors de l’insertion du spéculum par exemple, était essentiel pour elle. N’ayant à aucun moment eu de complications, Diana n’avait ja­mais consulté de gynécologue. En raison de considérations culturelles et de l’absence de rapports sexuels, son entourage n’en avait jusque-là pas vu l’intérêt. Mais de fortes douleurs et des saignements ont révélé des polypes nécessitant une opération. Diana avait donc besoin d’informations sur les consultations et les examens.

Pour Alice, il était difficile d’aborder ce sujet. Notamment en raison d’une pose de stérilet douloureuse. Son vécu était dominé par la peur et l’anxiété.

Vous avez mis en place un dispositif d’habituation. En quoi celui-ci consiste-t-il ?

Son objectif : habituer progressivement ces femmes à un soin gynécologique particulier. Avant de mettre le dispositif en place, j’ai rencontré les deux participantes afin de créer un lien de confiance. Je leur ai remis une présentation de l’étude en FALC et expliqué les conditions, comme la possibilité d’arrêter à tout moment ou de ne pas répondre.

Comment s’est déroulée la suite de la recherche ?

Nous avons travaillé avec des fiches. L’une d’elles, avec le scénario d’une patiente demandant à son gynécologue un drap pour pouvoir cacher ses parties intimes, a permis à Alice de voir que couverte, elle se sentait mieux. L’informer qu’elle avait la possibilité de demander un drap était important. Tout comme savoir qu’elle pouvait être accompagnée par une personne de confiance et lui donner la main lors de l’examen. Nous avons également travaillé sur la respiration. Avec Diana, nous nous sommes concentrées sur ce qu’on dit chez le ou la gynécologue, les symptômes ainsi que les examens possibles. Pour faciliter la communication, j’ai utilisé différents pictogrammes.

Les rencontres incluaient-elles une dimension pratique ?

La troisième séance, à laquelle Alice n’a pas souhaité participer, visait à entrer en contact direct avec le matériel gynécologique. Diana a ainsi eu l’occasion de manipuler un spéculum et des écouvillons. La compréhension de leur fonctionnement lui a permis d’avoir une forme de contrôle et de diminuer son anxiété. La dernière séance consistait en des jeux de rôle.

 

 

Dans un premier temps, la participante m’observait dans le rôle d’une patiente stressée, en consultation chez la gynécologue, jouée par une infirmière d’Handiconsult*. Pour le scénario, nous nous sommes basées sur les fiches travaillées ensemble au préalable. Ensuite, elle jouait son propre rôle de patiente. Même si le scénario était le même, on a pu noter une vraie forme d’affirmation de soi de la part des participantes, qui jouaient leur propre rôle, avec leur propre histoire.

Peu de gynécologues sont sensibilisé·e·s à une approche prenant en compte les besoins spécifiques des femmes ayant une déficience intellectuelle …

Le personnel médical en général est très peu formé. Certain·e·s gynécologues ne comprennent pas pourquoi ces femmes devraient consulter si elles ne sont pas actives sexuellement. Cette attitude révèle une méconnaissance et une infantilisation de celles-ci, réduisant leur autonomie et leur capacité à s’exprimer. Il est essentiel de rendre ces femmes actrices de leur santé sexuelle et reproductive, de les mettre en confiance et de les encourager à oser exprimer leurs besoins. Ce qui serait génial : pouvoir créer des dispositifs d’habituation pour tous types de soins gynécologiques, comme en cas de cancer ou de consultation préopératoire.

 

* Consultation médicale genevoise coordonnant la prise en soins des adultes et adolescent·e·s avec une déficience intellectuelle