Comment aider concrètement les personnes en situation de handicap à vivre leur deuil ?

Auteur

Sarah Cornaz

Publié le

La souffrance liée à la séparation existe chez tous les êtres humains indépendamment de leur niveau intellectuel. Les réactions sont imprévisibles et très variables. Il est important d’être conscient que la perception de la mort des personnes en situation de handicap va dépendre de leur niveau cognitif et de leur stade de développement socio-émotionnel.

Retranscription d’une conférence donnée lors du congrès Deuil et handicap à Fribourg, le 6.11.2021 par Sonia Moulin-Barman.

Sonia Moulin-Barman a enseigné à l’école primaire, secondaire et spécialisée, où elle a appris à utiliser le langage facile à lire et à comprendre (FALC), les moyens auxiliaires de communication et le langage des signes d’Anita Portmann. Elle a obtenu un diplôme universitaire du deuil dans la formation des soignants et des accompagnants et a créé un support didactique en cas de deuil à l’école1. Cette expérience l’a ensuite amenée à devenir intervenante dans l’accompagnement des personnes qui vivent des deuils au sein de l’association Vivre Son Deuil Suisse (AVSDS). Elle propose des accompagnements individuels ou en groupe, un service de soutien au deuil ainsi que des formations dans les institutions. Elle est également l’organisatrice du congrès Deuil et handicap qui a eu lieu à Fribourg en novembre dernier.

La plupart des personnes en situation de handicap comprennent ce qu’est la mort, que le corps ne fonctionne plus et que c’est irréversible mais seule une moitié réalise que la mort est universelle et que cela touchera également leurs proches et elles-mêmes. Les personnes sont intuitives et leurs émotions peuvent être très diverses, voire totalement opposées à celles que nous pourrions attendre. Le choc de la nouvelle semble souvent discret. Nous avons parfois l’impression d’une résignation rapide, d’une passivité face aux événements. Les personnes en situation de handicap sont en outre peu tourmentées par la culpabilité. Il est intéressant de noter que la temporalité n’est pas la même chez elles. Leurs émotions peuvent ressortir plusieurs années après. Attention également à ne pas tout mettre sur le dos du handicap car chacun a le droit de vivre ses émotions à sa façon.

Le deuil est universel et il n’y a pas de situations propres aux personnes en situation de handicap.

Le deuil est universel et il n’y a pas de situations propres aux personnes en situation de handicap. Il y a néanmoins des particularités à connaître. Les personnes en situation de handicap vivent souvent en osmose émotionnelle, ce sont comme des éponges qui ressentent fortement la douleur et la tristesse des proches. L’on peut remarquer également un état d’indifférenciation : les personnes peuvent substituer une perte et choisir un éducateur ou une éducatrice pour remplacer le parent décédé et ainsi compenser le lien relationnel perdu. Les troubles du comportement peuvent aussi être exacerbés pour un temps.

Quelques outils pour accompagner

L’accompagnement se fait toujours « à la carte », chaque deuil est unique car chaque relation préexistante est unique. Je cite ici deux livres essentiels. Le premier intitulé Le deuil : ainsi va la vie2 est un excellent cadre de référence et guide d’intervention dans l’accompagnement des personnes endeuillées ayant une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme. Le deuxième, Manuel pour groupes de soutien face au deuil, pour personnes ayant une déficience intellectuelle3, contenant plusieurs pictogrammes et images, est également très bien réalisé.

Accompagner c’est agir en prévention d’éventuelles complications, c’est valider sa souffrance, ses émotions et non pas faire à sa place.

Annoncer la mort d’un proche demande une grande sensibilité. Nous devons le faire de manière graduelle, dans un cadre sécurisé, en utilisant des mots simples. L’annonce peut se faire de façon groupée ou individuellement en mettant la ou les personne(s) au centre : « Que désires-tu faire maintenant ? »
Accompagner c’est agir en prévention d’éventuelles complications, c’est valider sa souffrance, ses émotions et non pas faire à sa place. Il est essentiel de répéter et répéter encore, reformuler, continuer les routines et se rappeler la situation de deuil. Il s’agit d’un accompagnement au long cours.
Un support utile est le guide Chemin de deuil, chemin de vie4 qui aide à appréhender ces passages difficiles de vie que sont les moments de deuil traversés par les personnes avec handicap. L’album Quelqu’un que tu aimes vient de mourir5 réalisé par la fédération européenne Vivre son deuil est formidablement bien réalisé et peut être utilisé de façon non linéaire.

Concrétiser la mort

Beaucoup de familles n’osent pas annoncer les deuils ou intégrer la personne en situation de handicap aux obsèques alors que bien souvent cela se passe très bien. On pense les protéger en les tenant à l’écart, même en cas de pré-deuil, mais elles ont des compétences bien supérieures à ce que l’on peut attendre pour comprendre la mort et vivre leur deuil. Même tenues à distance, elles devinent la gravité d’une maladie ou l’imminence de la mort. Il suffit de bien préparer les funérailles, en expliquer le déroulement et les jouer si besoin, à l’aide de pictogrammes ou de figurines. Il est essentiel de dire que la personne est « morte » et ne pas utiliser de mots abstraits comme décédé, perdu, disparu, parti ou monté au ciel. Avant d’aller voir le corps, il faut également expliquer que le corps sera froid, blanc et dur et qu’on peut le toucher. Mettre la personne au cœur : « Que désires-tu faire, apporter, mettre dans le cercueil ? Désires-tu participer à la cérémonie ? De quoi as-tu besoin ? »

1 Sonia Moulin-Barman (2007), La formation des enseignants. Support didactique en cas de deuil à l’école. L’Esprit du temps, Études sur la mort. Disponible sur www.cairn.info.

2 Bergeron S., Bouchard R., Côté C. (2015), Le deuil : ainsi va la vie : cadre de référence et guide d’intervention : soutien spécialisé et accompagnement adapté d’une personne endeuillée ayant une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme, Centre de réadaptation en déficience intellectuelle de Québec. Ce guide est téléchargeable sur le site https://numerique.banq.qc.ca (taper « deuil ainsi va la vie cadre de référence et guide d’intervention » dans la barre de recherche)

3 Powell J. (2013), Manuel pour groupes de soutien face au deuil, pour personnes ayant une déficience intellectuelle, L’arche, Canada. Téléchargeable sur le site www.aging-and-disability.org (onglet Documents, rubrique Vivre le deuil)

4 Pastorale de la santé du diocèse de Tournai (2018), Chemin de deuil… chemin de vie. Livret de 52 pages consultable sur le site https://fr.calameo.com/

5 Fédération européenne Vivre son deuil, Quelqu’un que tu aimes vient de mourir. À commander sur le site www.vivre-son-deuil.com