« Lire ensemble m’apporte du plaisir »

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Susanne Schanda

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Que l’on ait ou non un handicap, se réunir dans un espace public et lire ensemble un livre. Puis en discuter. C’est le projet d’insieme Biel Seeland, qui a lancé le premier club de lecture inclusif LEA de Suisse (LEA : Lesen Einmal Anders, ndlr : Lire autrement) en collaboration avec la Bibliothèque de la ville de Bienne et la Fondation pour l’inclusion et la communauté.

Lorsque les lectrices arrivent une à une à la Bibliothèque de la Ville de Bienne, les livres sont déjà prêts, posés sur les petites tables de bistrot disposées en cercle. Tandis que Leila est venue en train de Lyss et Ajsa de Laupen, Margrit s’est déplacée en bus du quartier biennois de Mâche. Agées de 20 à 78 ans, les lectrices ont beaucoup de choses à se raconter après les vacances. Et en plus, il y a du gâteau aux carottes du Laden Bistro de Bienne et du thé.

Avec hésitation, son doigt passe d’un mot à l’autre. Lorsqu’elle s’interrompt, Melina poursuit la lecture. En tant que « co-lectrice »,  cette dernière a pour mission d’aider les participantes qui ne savent pas bien ou pas du tout lire.

Judith d’insieme Biel Seeland salue le groupe et demande qui se souvient de ce qui est arrivé aux deux personnages du chapitre précédent. « lls sont à Londres chez tante Tessa », répond Elena. A leur tour, les autres se remémorent l’histoire. Celle-ci s’intitule Trois petits mots. Il s’agit d’une version raccourcie et rédigée en langue facile. « Qui veut commencer la lecture ? »  « Moi ! », répond immédiatement Conny, mettant ses lunettes. Avec hésitation, son doigt passe d’un mot à l’autre. Lorsqu’elle s’interrompt, Melina poursuit la lecture. En tant que « co-lectrice »,  cette dernière a pour mission d’aider les participantes qui ne savent pas bien ou pas du tout lire. Conny répète alors les quelques mots récités par Melina.

 

Au club de lecture LEA de la Bibliothèque de la Ville de Bienne, on ne fait pas que lire : on discute et on rit beaucoup. © Danielle Liniger

 

Les termes difficiles et étrangers sont soulignés dans le texte et peuvent être consultés au dos du livre. Judith lance à la ronde : « Qui sait ce qu’est un magasin d’occasion ? » Et Doris de répondre : « Un endroit où on achète des vêtements déjà portés. » C’est désormais à Ajsa de lire. Ce qu’elle fait avec fluidité, sans mettre de marque-page sous la ligne : elle a déjà lu le livre en entier chez elle.

Lire autrement

Le club de lecture LEA d’Allemagne servi de modèle. Un réseau de 50 clubs de lecture existe dans ce pays. Des adultes avec et sans handicap lisent ensemble des livres et des textes en langage simplifié dans un lieu public, comme une bibliothèque ou un café. Tout le monde peut participer, même les personnes qui ne savent pas lire. L’essentiel est d’avoir du plaisir et envie de lire des livres et des histoires et de prendre part à la vie de la société.

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Le groupe se réunit tous les jeudis soir. Aujourd’hui, huit participantes sur dix vivent avec un handicap. Que seules des femmes soient présentes ce soir est un hasard, explique par ailleurs Susanne, qui travaille à la Bibliothèque de la Ville de Bienne. Elena est venue accompagnée de son père Rainer, qui connaissait des clubs de lecture similaires aux Etats-Unis. Après avoir demandé à insieme Bienne Seeland s’il était possible de lancer un projet de ce genre en Suisse, ils ont finalement développé le concept en collaboration avec la bibliothèque municipale.

Le club de lecture LEA est financé par le service de promotion des bibliothèques du canton de Berne, insieme Bienne Seeland et la Stiftung für Inklusion und Gemeinschaft (ndlr : Fondation pour l’inclusion et la communauté). En outre, la Bibliothèque de la Ville de Bienne contribue au projet en mettant à disposition des collaborateur.trice.s pour les rencontres et en effectuant du travail de relations publiques et des tâches administratives. Pour 2024, insieme Bienne Seeland a pris en charge l’acquisition des livres. Ces rencontres ne sont pas destinées à l’apprentissage de la lecture.

Qu’est-ce qui attire les participantes au club de lecture biennois ? Pour Miriam, la motivation : « Au club, je comprends mieux  parce qu’on m’explique aussi quelque chose. Lire ensemble m’apporte du plaisir. » Et Doris de lancer : « J’ai fait des progrès en lecture. »

Pour ce qui est du choix des textes, il se fait en commun. Trois propositions sont faites à chaque fois, puis on vote. « Ce livre-là, je le préfère au dernier », explique Leila. Et Corinne d’ajouter : « Moi aussi, j’aime les histoires d’amour ».

 

Le choix des textes se fait en commun. © Danielle Liniger

 

L’ambiance est joyeuse, les discussions et les rires vont bon train. Assises au fond de la bibliothèque, dans le coin des livres en langue facile, elles sont éloignées de quelques mètres d’autres personnes penchées sur des livres qui lisent en silence ou travaillent.

Pour les personnes qui vivent en institution, sortit et rencontrer d’autres personnes dans l’espace public est précieux. C’est ce qui fait l’inclusion.

Certaines parlent entre elles à voix basse et, de temps à autre, l’une d’elles fait un saut au club de lecture. « Pour les personnes qui vivent en institution, sortit et rencontrer d’autres personnes dans l’espace public est précieux. C’est ce qui fait l’inclusion », explique Judith.

Un projet qui fait des petit⸱e⸱s

insieme Thun Oberland a lancé, fin avril, un club de lecture à la librairie Orell Füssli à Thoune. De nouveaux projets verront aussi le jour, notamment, en collaboration avec insieme Region Bern, à la Kornhausbibliothek de Berne ainsi qu’à la bibliothèque de Rüti (ZH). Jusqu’à présent, il n’existe que des projets germanophones, mais la bibliothèque de la ville de Bienne parle déjà de s’attaquer à un club francophone dans un avenir proche.

Afin d’accompagner à la mise sur pied d’autres clubs de lecture LEA en Suisse, le club de lecture LEA de Bienne propose des formations en collaboration avec l’association allemande Kubus e.V. Informations sur le club de lecture LEA de Bienne